Psychologie du désir de Samantha a Dark VADOR
Un roman, une nouvelle, une bande dessinée, une pièce de théâtre, un film de cinéma ou une série (télévisuelle ou sur une plateforme de vidéo en ligne) : qu’est-ce qui fait qu’on s’identifie (ou pas) aux personnages ? Parce que c’est un des nerfs de la guerre narrative : si le lecteur ou la lectrice, si la spectatrice ou le spectateur ne s’identifient pas aux personnages, ils lâchent l’affaire — on revend le bouquin, on change de chaîne, on s’endort sur le fauteuil élimé mais confortable de la salle obscure.
Mais c’est quoi, « s’identifier » ? « Idem » est un des mots latins qui engendreront « Identification ». Et Idem veut dire « le même ». S’identifier à un personnage, c’est se sentir le même, c’est se prendre pour lui, c’est avoir l’impression qu’on vit soi-même, à la même place que lui, l’aventure qui se déploie. C’est, le temps de l’intrigue, l’oubli de soi ; le soi qui se veut autre parce que l’autre est « même ». Il faudrait donc ressembler au personnage pour s’identifier à lui ? Si c’était vrai, alors un plombier homme, homosexuel suédois d’origine russe, ne pourrait s’identifier au personnage d’une pilote automobile femme, hétérosexuelle togolaise d’origine chinoise. Et pourtant c’est possible. Parce que se sentir « même » n’implique pas une « ressemblance ». C’est dans le fond et non en surface que nous devons être « même », et ce qui nous anime dans le fond, ce qui nous met en mouvement au plus profond du fond, c’est le « Désir ». Oui, donnez un désir fort à un personnage, et on s’identifiera probablement à lui. « L’identification par le désir ? C’est une bonne piste… creusez-là ! » m’avait répondu le narratologue, essayiste et nouvelliste, Raphaël Baroni, qui m’avait fait l’amitié d’une correspondance durant quelques années. J’ai creusé.
Samantha, on te Kiffe !
L’intrigue démarre au milieu de l’action. On découvre un personnage enfermé dans une cage avec trois lions qui lui font face. Quels que soient notre sexe, notre profession, notre coiffure et nos vêtements, et même si on ne le connaît pas, on s’identifie instantanément au personnage. Son désir ? Sauver sa peau ! C’est un désir fort, non ? J’ai creusé un peu plus. Le désir est une tension. Un irrépressible élan vers quelque chose ou quelqu’un. Qui se souvient de la sitcom du milieu des années 60, Ma sorcière bien-aimée (Bewitched) ? Samantha, jeune et ravissante (gentille) sorcière, a un désir explicite : faire plaisir à son mari qui veut une épouse « normale », une maîtresse de maison classique de ces années-là et qui l’accueille le soir après sa journée de travail dans une agence de publicité : pas de magie chez lui ! Oui mais Samantha a un autre désir implicite, un désir non-dit : être elle-même — et, donc, user de la magie. On l’a compris, on va traiter de psychologie de relation amoureuse, d’émancipation de la femme et autre patriarcat. Mais peu importe, les deux désirs de Samantha sont contradictoires. La tension n’en est que plus forte.
Ma « Star Wars » bien aimée
Un autre exemple plus près de nous ? Restons dans la culture dite « populaire ». Le héros de Science-Fiction Luke Skywalker de La Guerre des étoiles (Star Wars). Figure de l’Alliance Rebelle, et qui va devenir un Jedi, il lutte contre l’Empire Galactique oppresseur, notamment contre l’effrayant méchant Dark Vador. Quand il va l’affronter, et apprendre que Dark Vador est (surprise !) son père, il doit alors composer avec deux désirs contradictoires : le désir explicite de tuer Dark Vador, et le désir implicite de l’épargner pour le ramener du bon côté de la Force — oui, c’est son père tout de même ! Un désir explicite fort, un désir implicite contradictoire encore plus fort : la tension désirante est on ne peut plus puissante. On s’identifie… Personnages de roman (littérature classique, d’avant-garde ou « de gare »), de cinéma (d’auteur ou de série « Z »), de série (humoristique ou policière), de BD (franco-belge, manga ou comics), quels que soient vos préférés, faites un jeu : cherchez dans vos héros et héroïnes, les désirs qui les animent. Vous trouverez à chaque fois, j’en mets mon clavier au feu du micro-ondes, deux désirs contradictoires.
Bewitched © COLUMBIA PICTURES
Dark Vador © Disney
Où trouver tout à la fois le Fedora porté par Bogart dans Casablanca, une analyse sémiologique, les super-héros, la pensée de Parménide et une ambiance de bar façon « Hopper » ? Ou, mais jusqu’où dans tout cela peut-il s’acoquiner ? Dans l’écriture chatoyante et entraînant de Bernard Dato.
Son récit nous emmène à la fois entre philo et polar et nous aide à décoder la BD. Ce n’est pas seulement un voyage, c’est un « trip » auquel il nous convie.
Entre noir et blanc et plein de couleur.
Pascal Senk.
Pascal Senk, journalistes spécialisés en psychologie, auteure de “L’effet haïku” ed. du Seuil, collection Points/vivre, 2018.