Michael Mann,
Ou le vice de l’identification
Miami Vice. Miami Vice le film. Isabella/Gong Li crie : « Qui es-tu ? » Sonny Crockett/Colin Farrell vient de perdre un des vecteurs d’identification qui irriguait le personnage depuis le début de l’intrigue. Le spectateur se détache-t-il alors de lui ? Prend-on brusquement une distance avec l’univers spatio-temporel de cette histoire de flics infiltrés et de gangsters internationaux ? Il fallait bien, de toutes façons, que Sonny perde ce vecteur tôt ou tard. C’était prévu. Dès le début c’était inscrit. Mais Michael Mann, metteur en scène et scénariste, avait semble-t-il une parade ; une carte cachée dans son jeu cinématographique. Sacré Michael !
Il y aurait beaucoup à dire et à écrire sur cette adaptation d’une série TV du milieu des années 80, dont Michael Mann était déjà le producteur. Le film reprend les mêmes personnages principaux : les policiers Sonny Crockett et Rico Tubbs. Dans son film, Mann injecte également deux motifs constitutifs du style de la série : les voitures sportives de prestige, et les bateaux offshore, rapides, légers, bondissant et rebondissant sur les vagues du grand bleu. Comme l’explique fort bien Jean-Baptiste Thoret, personne ne filme les bolides, sur asphalte ou sur océan, comme Michael Mann. Personne sinon Michael Mann ne sait faire la critique d’un système et montrer dans le même temps le pouvoir de fascination que ce système exerce sur nous — vivement, je conseille vivement les analyses de Jean-Baptiste Thoret, sur Miami Vice en particulier, sur les films de Mann en général, ou plus largement sur le cinéma. Les deux flics super professionnels et les machines hyper nerveuses étant posés, Mann s’écarte ensuite de la série.
Il s’écarte même (et c’est toujours Jean-Baptiste Thoret qui le dévoile) de la dramaturgie classique qu’il fait mine de déployer. Aucun fil narratif (ceux qui comptent, j’entends), ne sera en effet résolu. Cela ne se fait pas à Hollywood, monsieur Mann ! Je le redis une dernière fois : allez lire, ou écouter et regarder monsieur Thoret — on trouve quelques vidéos passionnantes sur YouTube et autres médias. Mais ici, pour compléter mes deux précédents articles (voir Psychologie du désir et Scully Kiss), c’est à l’identification au personnage principal que je vais m’intéresser. C’est sur l’usage quasi organique de l’identification que je vais me pencher à propos de ce film singulier et fort (organique ? Oui ! organique). Synopsis : Sonny et Rico infiltrent une organisation criminelle dont le trafic de drogue se ramifie sur tout le globe. C’est parti !
Nous sommes Sonny
Pour Sonny, le temps imparti est court. Très court. Il est infiltré et prétend être un gangster. Oui mais, d’un coup (de foudre) d’un seul, il tombe amoureux de la mafieuse et irrésistible Isabella. Pour Isabella, Sonny s’avère irrésistible lui aussi. Ils auront peu de temps et ils le savent. Voilà donc notre personnage animé par deux désirs contradictoires : il veut coffrer les méchants, mais il veut vivre une histoire d’amour avec Isabella. Il détient de plus « une vérité qui ne doit pas être entendue » : Sonny ne peut dire à Isabella qu’il est un flic. Sinon tout capote. On l’a vu précédemment : le désir est un vecteur majeur de l’identification. Le double désir contradictoire renforce cette identification. Quant à « une vérité qui ne doit pas être entendue », ou « une vérité qui ne parvient pas à être entendue », elles en augmentent encore la puissance. L’intrigue avance, à toute vitesse, comme les autos et les bateaux : Isabella et Sonny parviennent péniblement à y insérer leur fulgurante liaison. Puis, vient le moment où Sonny perd un de ses vecteurs identifiants. Jusqu’ici, nous « étions » Sonny. Mais vient le moment où ça tire dans tous les sens. Ça fait du bruit. Ça saigne. Ça tombe. Les masques tombent… Fusillade !
L’union sacrée de l’identification
Au cours de la fusillade de clôture dont Michael Mann (le metteur en scène) a le secret visuel et sonore, Isabella, hébétée, prend conscience en quelques secondes que son amant était un flic infiltré. Elle murmure « Qui es-tu ? » Elle se dresse. Elle avance vers lui pendant que sifflent les balles et que tombent à grand bruit dans leur chute les malfrats. Elle crie : « Qui es-tu ? » Elle se rue sur Sonny, le frappe, se débat : lui la contient, la protège, lui l’entraîne à l’abri pendant que l’affrontement aux armes automatiques se poursuit. La vérité qui ne devait pas être sue (il est flic !) explose au grand jour du regard d’Isabella. Elle doute à présent de l’authenticité des sentiments de Sonny. Le spectateur sait qu’il n’en est rien.
Dans la scène qui précède, quand Rico demande à Sonny où il en est avec Isabella, Sonny répond : « Avec Isabella, à cent pour cent » (voilà du dialogue concis et efficace !). Sa relation fulgurante et amoureuse avec la mafieuse n’était pas un mensonge d’infiltré. Mais cette vérité ne parvient pas à être entendue par Isabella au cœur de l’action tonitruante. Puis, parce que Sonny va faire en sorte de l’envoyer loin, à l’abri de tout flic et de lui y-compris, Isabella comprend : Sonny était un flic infiltré, Okay, mais il n’avait pas menti sur ses sentiments.
La grande trouvaille de Michael Mann (scénariste) dans son film Miami Vice, tient dans une articulation : au moment où son personnage (James « Sonny » Crockett) perd un de ses vecteurs d’identification (« une vérité qui ne doit pas être entendue »), Mann lui injecte « une vérité qui peine à être entendue. » Cette articulation se fait instantanément : le pouvoir identifiant de Sonny est dynamique, organique parce qu’il évolue. Et quand cette vérité est par Isabella (enfin) entendue, nous sommes déjà à la toute fin du film. Du grand art dramaturgique monsieur Mann…
… Sacré Michael !
Onze poèmes en vers libres, clôturés par onze haïkus, une nouvelle en guise d’épilogue : « le seul bleu qu’autorise La Nuit« , texte qui articule divers genres littéraires, déploie pour autant une seule et même intrigue. Une seule et même histoire dont Bernard Dato dévoile un pan seulement. A vous de monter sur la scène de ce qui se joue et de lever le voile sur ce qui demeure dans l’ombre de sa narration. A vous de découvrir l’unique nuance bleutée que la nuit nous livre… La journaliste qui enquête sur la mystérieuse tonalité nocturne et sur un « Couple Etrange« , sera ravie de votre aide.